Auteur
Bertrand Calenge

 Type de document
Journée d'étude

 Date
2000

 

Sommaire

Conférence introductive

Complémentarité entre les supports

Conspectus, état des lieux et perspectives

Expérience d'évaluation de la consultation sur place à Miramas

 

 

Bertrand Calenge
Allocution d’ouverture

Journée d’étude organisée par le groupe Poldoc
17 mars 2000 – Villeurbanne

 

Merci à tous pour votre inétrêt pour les politiques documentaires en général, pour le groupe Poldoc en particulier.

Rappelons que le groupe est actuellement constitué de profesionnels des bibliothèques, avec association de chercheurs pour une équipe de projet et bientôt deux.

Le groupe est  hébergé et soutenu par l’enssib, et financé par l’enssib au titre de la recherche.

Aujourd’hui il a presque un an d’existence, et déjà trois équipes de projets (qui présenteront leurs travaux durant cette journée), et déjà un site Web, opérationnel depuis le 1er janvier 2000, qui recense notamment des dizaines de travaux de bibliothèques françaises et francophones.

Je présente les excuses de notre conférencier inaugural, Jean-Louis Gautier-Gentès, IGB, qui a été obligé de renoncer à être avec nous aujourd’hui, et qui m’a chargé de vous présenter ses regrets. Je vais tâcher non de remplacer son talent et sa réflexion, mais de vous offrir quelques pistes liminaires.

Auparavant, j’ai d’autres excuses à présenter, celles de Christie Koontz, Université d’Etat de Floride, retenue aujourd’hui aux Etats-Unis. Mais Lamia Badra, qui vient de passer quinze jours à travailler avec elle en Floride, fera présentation de la recherche appliquée en cours.

Rappel de la journée : après mes quelques mots d’introduction :

-  ce matin, complémentarité entre supports : Joëlle Muller (FNSP), et approches allemandes avec Peter Borchardt ((Bibl. centrale de Berlin)
-  puis Approche de Conspectus avec Thierry Giappiconi (BM Fresnes), avec présentation mise en œuvre dans une bibl. publique
-  déjeuner libre : NB Parc, avenue Roberto Rossellini (Samouraï)
-  après-midi (14h30 précises) : Evaluation de la consultation sur place . enquête menée selon protocole collectif par Aline Le Seven et Jérôme Porchal (B. SAN Fos-Miramas)
-  Lamia Badra sur évaluation de la  collection en relation avec les publics défavorisés.
-  Pause
-  Débat sur les priorités de Poldoc.
-  fin à 17h

 

Quand je parle de travaux et conférences sur les outils des politiques documentaires, je rencontre 3 réactions :

1)  En quoi est-ce différent de « outils de gestion des collections » ? abus de langage ou mégalomanie ?
2)  C’est bien temps de se pencher sur les collections, alors que celles-ci sont complètement concurrencées par les réseaux type Internet
3)  Le mot outils évoque une froide technicité, voire technocratie, dans ce qui est à l’évidence le lieu du mouvant et de l’adaptation.

Je veux réagir à ces trois types de réflexions.

 

A - Pourquoi la notion de collection appelle-t-elle celle de politique documentaire ?

Qui dit politique dit vision volontariste des collections.

 N’est-ce pas le cas ? En fait non. Même si l’on a des grandes idées ou des grands principes, on a peu une vision globale de la collection, et la vie quotidienne est faite de décisions fragmentées titre à titre, décisions prises sans référence à un projet plus global formalisé.

Ce ne serait pas ennuyeux si une collection n’était qu’un agglomérat de titres distincts et indépendants les uns les autres.Or les recherches montrent que la collection forme un ensemble qui a ses logiques propres, non réductibles aux logiques particulières de chacun des documents qui la composent.

 

Creusons cela de façon progressive :

- un texte n’est pas neutre. Isabelle Olivero, dans une thèse inéressante « L’invention de la collection » (éditoriale), montre qu’un texte de Rousseau est signalé différemment par différents  appareils de préfaces, de notes, etc .

- Au-dela du travail sur le texte lui-même, les chercheurs sur la presse et les magazines (JF Têtu par exemple) montrent que la contiguïté d’un texte avec d’autres sur même page contraint son sens. Un même texte publié  dans Libération et Le Figaro produit en fait 2 textes différents

- Du point de vue du lecteur, il y a d’intéressantes recherches sur le fait que les conditions d’appropriation d’un texte conditionnent son interprétation. Je renvoie à R. Chartier

- Contigüité et contextualité se retrouvent dans la collection de bibliothèque. Pour aller vite, « Mein Kampf » pas le même sens selon qu’il est inclus dans les collections de la BM d’Orange, la BM de Lyon, la BDIC ou la BNF.

La collection produit son sens, à la fois par les liens tissés entre les documents rassemblés, et par son rapport à une collectivité donnée. Qu’on le veuille ou non, ce sens se crée.

La question de la politique documentaire est
a minima d’avoir conscience de ce(s) sens possibles de la collection, qui échappent au seul sens de chaque document isolé (d’ailleurs aucun document n’est jamais isolé, comme on l’a vu),
ad optima d’avoir action consciente,et volontariste, pour modeler au moins en partie ces sens.

Le bibliothécaire construit un système de représentations, qu’il le veuille ou non. Sa légitimité professionnelle tient dans sa capacité d’agir sur cette construction, et de façon formelle.

 

B – Comment Internet revivifie la notion de collection

Cette vision serait balayée par arrivée d’Internet ?
Je ne ferai pas l’injure à d’éminents collègues de vouloir les convaincre que les bibliothèques d’aujourd’hui et de demain ont besoin de documents traditionnels comme de ressources numériques.

Je voudrais juste attirer l’attention sur trois choses :

1)  la multiplication des « supports » est un élément qui a contraint à réfléchir à l’image et aux formes de la collection. Cela pose la question de la complémentarité des supports au cœur des questions de politique documentaire.

2)  L’immensité du champ des ressources électroniques (plus de 800 millions de pages web), et l’absence de filtres éditoriaux et budgétaires, ont mis en évidence la nécessité de sélectionner, donc de s’appuyer sur un corpus de références, de règles, afin d’avoir cohérence et homogénéité.

3)  La non-patrimonialité des ressources Internet signalées en signets a mis en évidence une réalité trop souvent occultée : le rôle de la bibliothèque n’est pas tant de posséder que de donner des accès validés. Cette fonction de la collection comme ensemble validé est essentielle : tout document acquis est en fait validé par rapport à un projet culturel, social, éducatif (même un Barbara Cartland…).

Dans ce contexte, Internet enrichit la collection des documents traditionnels, mais n’épuise pas le concept de collection, auquel ses ressources appartiennent.
Il n’est donc pas étonnant donc de voir un titre comme celui d’un ouvrage à paraître dans la collection « La boîte à outils » (ed de l’enssib) : « Intégrer les ressources d’Internet dans la collection ».

 

C – Quels outils ?

Encore une fois, on rejoint un certain volontarisme dans la construction et la gestion de la collection.
Cela suppose de prendre du recul par rapport à la gestion quotidienne, même si chaque document, comme chaque lecteur est unique
Osons une comparaison avec la médecine. Chaque malade est unique, mais cela n’empêche pas un effort de confrontations , d’analyse systématique des symptômes, pour définir des maladies, donc les soigner (ce qui n’a jamais prétendu épuiser la complexité et la richesse de chaque individu, malade ou non).
C’est çà que nous devons faire, et pour çà il faut s’armer d’outils.

Le mot d’outils a une connotation particulière dans notre profession. Qui dit outils dit technicisme et normalisation , par référence aux normes de catalogage, ou aux contraintes des outils informatiques.
La vive réaction à l’hypothèse d’outils des politiques documentaires tient sans doute à une crainte de la normalisation, et à l’évocation de souvenirs plus ou moins lointains : la loi de Morse, les facteurs d’impact, etc. ,d’où une crainte de « mécanisation » de l’activité.

Il faut poser le problème différemment. La question est : comment parler de documents individuellement différents en leur trouvant des points de référence communs, et entre eux (si divers soient-ils) et entre eux et les publics qu’ils rencontrent ou devraient rencontrer ?. Quoi de commun entre ce livre, ce site internet et ce cédérom, et que sont-ils par rapport à la collection  existante, et que sont-ils par rapport au projet politique (au sens vie de la cité) de la bibliothèque ?

Alors on peut avoir des outils techniques : plans de classement (BNF, BPI), échelles de niveaux (Conspectus), codes de langues, liste de qualifications (Villette), etc.

Mais on peut aussi rencontrer des réflexions formalisées de mise en ordre : tels les corpus

Ou encore des efforts de rédaction, de mise en forme du sens : chartes documentaires

Tout cela ce sont des outils. C’est dire s’ils sont multiples : vous en aurez un aperçu aujourd’hui.

Ils sont potentiellement très nombreux.
Il faut donc voir où sont les priorités, sinon les urgences aujourd’hui.

A mon sens, on peut retenir  5 axes :

1)Outils d’évaluation politiques, en relation avec grands objectifs :
Comment définir une bibliothèque de recherche en histoire, une bibliothèque encyclopédique (et quand ne l’est-elle plus ?). Comment affirmer clairement qu’un genre est surreprésenté ?

2)  Outils pour suivre l’évolution mouvante du savoir. Les bibliothèques sont  très prises (et c’est normal) par des cadres assez rigides et normalisés (par exemple la Dewey). Comment accompagner les émergences de nouveaux savoirs, les interdisciplinarités ?

3) Outils pour tenir l’équilibre entre la demande et l’offre. Deux exemples :
-  en BU : il existe des outils qui font référence à l’autorité du savoir (cf facteur d’impact), mais la réalité des usages ne correspond pas toujours à cette « hiérarchie »… que suivre et jusqu’où ?
-  en bibliothèque publique, il y a nécessité de séduire les publics absents, mais aussi de leur offrir d’autres choses. Bryan Evans disait : « les séduire avec ce qu’ils savent qu’ils aiment, les retenir en leur offrant des choses qu’ils ne savent pas encore qu’ils aiment ». Cela se traduit comment, concrètement ?

4)  Outils pour la bibliothèque hybride de demain ( mariant papier et électronique). Des confrontations de contenus et d’usages sont là encore en balbutiement (cf le projet Malibu en UK) http://www.kcl.ac.uk/humanities/cch/malibu/

5)  Enfin outils permettant d’analyser et de jauger chaque document en le mettant en relation avec le projet de la collection. Je veux saluer ici les travaux récents sur les grilles pondérées d’aide à la décision d’acquisition pour les sites Internet (I. Bontemps) ou pour une bibliothèque de référence et d’étude (V Travier)

 

Je crois que tous les outils sont des constructions collectives. Il y a aussi nécessité aussi de les expérimenter, de les valider, de les stabiliser, au moins pour un certain nombre d’entre eux . A noter , nous en sommes encore au stade d’une terminologie instable : les contenus sont dénommés indifféremment thème, domaine, sujet, département, etc.

Le groupe Poldoc aide en ce sens  dans 3 directions :
- Emergence d’outils et lieu d’expérimentation : les équipes de projet
- Mutualisation des outils construits : site Web
- Intégration des outils validés et des méthodologies à la culture professionnelle : c’est encore à venir, mais passera sans aucun doute via une formalisation dans la formation professionnelle.

Autant dire que çà ne peut pas se faire sans vous.

Je lance un appel général à transmettre à Poldoc ce que vous avez déjà réalisé : chartes, plans de classements, synthèses d’évaluation, protocole de désherbage, plan de conservation ou plans de développement des collections.
Plus nous mutualiserons nos expériences, même non totalement abouties, et plus nous disposerons d’outils efficaces , pour maîtriser le développement de nos bibliothèques.

 

  25 10 2000