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Le conspectus : Une approche méthodique en faveur d'un développement maîtrisé et partagé des collections Thierry Giappiconi Rapport de l'équipe "Conspectus" de
Poldoc, présenté à la journée d'étude du 17 mai 2001 Les acquis Nous ne reviendrons pas aujourd'hui sur la
nomenclature des outils développés par Conspectus, ni sur ses
principes : cela a été développé dans mon intervention
de la journée d'études de Poldoc le 17 mars 2000 1
L’organisation du développement d’une collection doit être envisagée
par domaines de contenu, et domaine par domaine. Chaque domaine recouvre en effet une problématique et des besoins spécifiques qu'il convient de prendre méthodiquement en compte. Par exemple, le développement d’un rayon médical dans une bibliothèque publique peut recouvrir des objectifs de santé publique, celui d’un rayon de philosophie ou de littérature des objectifs de formation initiale, de formation permanente ou de culture ; toutes choses qui doivent être considérées, cas par cas, à partir d’orientations sans équivoque, de choix et de priorités explicites, ainsi que de la prise en compte des besoins de la population à desservir. Ce besoin s’exprime aussi bien en bibliothèque publique
qu’en bibliothèque universitaire. De même que l’on admet qu’un
rayon, une section ou un département musique appelle des compétences
spécialisées, il convient d’admettre qu’il en est de même dans
les autres domaines. Comment, par exemple, prétendre comprendre les
besoins des usagers potentiels, puis assurer la sélection et médiation
de l’information en droit, en économie et en gestion sans posséder
une connaissance de base de la fonction et du contenu des ces
disciplines et sans en suivre les évolutions ? Certes, le niveau et le type de spécialisation ne sont pas
partout les mêmes. Ils peuvent être variables pour une même
discipline en fonction de l’importance de la collection et du profil
du public. La vulgarisation de la médecine auprès d’une population
locale à des fins de santé publique, n’appelle pas le même besoin
de spécialisation que la documentation d’étudiants, de
professeurs et de chercheurs à des fins de formation et de
recherche. Ceci entendu, il est permis de penser que ces spécialisations
pourraient s’appuyer sur des stratégies d’affectation sur profil,
plus ou moins prononcées selon les cas,
(à partir de cursus initiaux ou de connaissances acquises lors
d’une précédente affectation), d’attribution de moyens (temps de
travail de sélection accrue lors de l’affectation dans une discipline
nouvelle, visites d’établissements spécialisés, formations
d’adaptation). L’activité de ces professionnels spécialisés
pourraient en outre s’appuyer sur des structures spécialisées (sites
coopératifs établissant une
veille documentaire partagée ainsi que sur des listes types). 3. Il devient ainsi concevable de conduire le développement d’une
collection sous forme d’objectifs de contenu et non de stocks. La gestion d’une collection est plus que
jamais fondée sur une gestion de contenu, et non sur une gestion de
stock. Prenons l’exemple des accès en ligne. De même que l’on
conviendra que la fonction sociale de la bibliothèque (ou si l’on
veut, son avantage concurrentiel) n'est pas d’acheter ou de recueillir
par don n’importe quel livre, on
conviendra qu’il ne revient pas plus, « de donner accès »
à Internet à l’instar des cybercafés, des fournisseurs d’accès
à domicile ou des bornes publiques (telles que celles que l’on trouve
aujourd’hui dans le métro parisien et probablement demain un peu
partout), mais d’intégrer les ressources en ligne à la collection au
même titre que les divers supports qui la composent déjà par ailleurs
(par exemple, la consultation d’une sélection de périodiques en
ligne). Cela signifie que l’objectif du développement d’une
collection ne peut se contenter de reposer sur des objectifs
d’acquisition de ressources matérielles (par exemple, tant de livres,
tant de disques, tant de cédéroms) mais sur un objectif culturel (par
exemple offrir un corpus de philosophie, de lettres ou de mathématiques
approprié à l’atteinte d’un niveau de connaissance donné).
L’objectif devient alors clairement d’offrir (tous supports nécessaires
pris en compte) une sélection pertinente au regard d’un besoin déterminé
(c’est à dire des attentes formulées ou non du public au regard de
politiques publiques de formation, d’information, de culture, etc.). L’organisation du développement d’une
collection est, incompatible avec des pratiques empiriques, c'est à
dire avec «des procédures
d’acquisition où goûts et convictions personnelles, intuitions et
improvisations, influence des fournisseurs l’emportent sur tous
projets intellectuels cohérents et inscrits dans la durée et peuvent
conduire aux pires conformismes et à la médiocrité »[1].
Soyons conscients que ces dérives présentent le risque d’exposer les
professionnels des bibliothèques à une crise de légitimité. S’il
suffisait, par exemple, de constater qu’un document figure au rang des
meilleures ventes pour décider de l'acheter, nul ne serait besoin de
personnel qualifié. 5 Elle permet d’éviter les écueils d’une instrumentation fondée
sur des critères discriminatoires. L’approche du développement d’une
collection par niveau de contenu permet encore d’éviter d’autres écueils
non moins arbitraires et contestables que ceux qui résultent de
pratiques empiriques ; celle d’une instrumentation qui
organiserait le développement d’une collection à partir de
l’application d’une grille de critères d’exclusion. Prenons garde
qu'en ce domaine au fait que les meilleures intentions ont leurs effets
pervers. q
Pas
de livre incitant à la discrimination ou à haine raciale ?
Mais alors comment concevoir un fonds littéraire d’une
certaine ampleur sans, par exemple, les œuvres complètes de Céline,
ou tout simplement d’ouvrages largement reconnus par la critique, mais
où les connotations racistes (paternalisme, préjugés, stéréotypes)
sont pourtant indéniablement présents ? Si, pour prendre un autre
exemple, nous voulons donner au citoyen une représentation de la réalité
de la vie politique, à quel titre allons nous lui offrir une sélection
moins large que celle que la République dépose régulièrement dans sa
boite aux lettres lors de chaque élection ? q
Pas
de pornographie ? Mais alors, comment si tel est bien l’objectif
dévolu au rayon littéraire de la bibliothèque envisager de donner un
reflet à peu près complet des tendances d’une rentrée littéraire
comme celle que nous avons connue il y a deux ans ?
Pouvons-nous sérieusement songer, à grande ou moyenne échelle,
bâtir une collection littéraire digne de ce nom sans y associer, par
exemple, les œuvres complètes de Pierre Louÿs, de Guillaume
Apollinaire, de Jean Genet ou de Donatien de Sade ? q
Pas
d’ouvrage documentaires universitaire ou antérieur à une époque déterminée
en lecture publique ? Mais alors comment concevoir un fonds
d’histoire de France conséquent sans une histoire de France de
Lavisse ? Comment imaginer un fonds d’histoire de la révolution
française où l’on ne trouverait ni Michelet, ni Jaurès, ni Mathiez,
ni Soboul ? Ces critères ne sont malheureusement que la
formulation explicite de pratiques qui, comme le dénonçait Louis
Seguin dans la Quinzaine littéraire»[2],
visent "à s’en
tenir à la sécurité de la moyenne, à
niveler, couper ce qui dépasse, refuser ce qui dérangerait,
surprendrait ou dont la lecture serait trop ardue".
Nous pourrons cependant nous accorder facilement sur le fait
qu'il ne peuvent servir de guide à l'organisation du développement
d'une collection. Ne devons-nous pas réaffirmer avec notre précurseur
Eugène Morel que : « dans
la grande voie de culture populaire ouverte à tous, nous nous refusons
de placer des distinctions de classes populaires d’un coté,
bourgeoises de l’autre, de quelque nom qu’on les affuble. Il n’y a
pas deux arithmétiques ni un ordre des lois physiques et naturelles réservés
à ceux qui paient l’impôt sur le revenu ; la répartition des
intelligences n’est pas proportionnelle à ce dernier » ? Enfin, ne serait-ce pas admettre que des
fonctionnaires, voire des autorités locales puissent dicter des critères
de censure politiques ou moraux. Ne sommes-nous pas les premiers intéressés
à rappeler que seule la loi, et par conséquent les institutions
gouvernementales et judiciaires sont seules habilités à formuler des
interdictions (retrait de la vente, interdiction d’exposition et de
vente aux mineurs, etc.) ? Comment pourrions-nous nous associer à
une banalisation d’une censure local, dont, faut-il le rappeler, nous
avons nous-mêmes condamné le principe lors d'affaires récentes.
Comment pourrions-nous enfin la justifier au regard de l’évolution
des mœurs ? 6 Elle permet d’éviter les équivoques de la notion de « pluralisme » Bertrand Calenge nous rappelait dans une réunion
à laquelle nous participions ensemble, le principe que le choix d’un
titre ne prend son sens que par rapport à un environnement documentaire
donné : la présence de Mein
Kampf dans le fonds d’une petite bibliothèque d’une ville
administré par des élus d’extrême droite ou dans celui de la
bibliothèque de la fondation des sciences politiques n’a évidemment
pas la même signification. C’est dire que seuls les objectifs et le
niveau de développement d’un fonds permettent de dominer les
inextricables controverses qu’entraînerait l’exigence de « pluralisme ».
Où commence et où s’arrête, si on la considère abstraitement, la
diversité des opinions ? N’importe quelle œuvre philosophique ou
politique a tout naturellement une infinité de détracteurs. Tous ne
peuvent, sauf objectif exceptionnel d’exhaustivité, figurer dans une
collection. Dés lors, toute sélection peut, au nom du pluralisme, être
assimilée à un choix idéologique. Chacun comprendra par exemple à l'inverse,
qu’un fonds d’histoire destiné à l’étude de la seconde guerre
mondiale doit comporter, non seulement les œuvres historiques représentatives
des différents courants d'interprétation historique, mais encore tous
les textes disponibles des principaux acteurs des événements. Si
l'objectif de la collection est bien l'étude de la deuxième guerre
mondiale, les thèses dites "révisionnistes" devraient
raisonnablement être écartées, non par l'opinion qu'elle sous-tendent
(qui pourrait trouver sa place dans un fonds destiné à l'étude des phénomènes
idéologiques d'après guerre), mais par le manque de rigueur historique
qu'elle traduisent. Il se fonde sur la définition qu’en
donne Bonita Bryant : "Le
but de toute organisation du développement d'une collection doit être
de fournir à la bibliothèque des ressources documentaires qui répondent
de façon appropriée aux besoins de la population qu'elle a pour
mission de desservir dans le cadre de ses ressources budgétaires et
humaines. Pour atteindre ce but, chaque segment de la collection doit être
développé avec un usage proportionnel à son importance au regard des
missions de la bibliothèque et des besoins de ses usagers"
(Bryant, 1987). [4] Tel est précisément le premier intérêt du
conspectus qui programme un « current
collection level », un
« acquisition commitment »,
le tout au regard d’un « collection
goal ». Nous ne voyons guère comment un processus de développement
des collections pourrait échapper à ces trois dimensions de
programmation et de contrôle. Tel est le cas de la structure des indicateurs
de niveaux des collections employée par le conspectus. Nous ne voyons guère l’utilité d’en inventer de
nouveaux, même si nous pouvons (et devons) nous interroger sur leur définition. Chacun
s’accorde à reconnaître que l’avenir réside sur le développement
partagé des ressources documentaires. Or, la conduite de
politiques de développement partagé des collections nécessite
la comparaison du niveau des collections, segment par segment d’une
bibliothèque à l’autre. On
notera de ce point de vue que la classification du conspectus WLN inspirée
des divisions, catégories, et sujets de la bibliothèque du congrès
est compatible avec la Classification de la bibliothèque du Congrès et
la classification décimale de Dewey.
Les
interrogations et les investigations à poursuivre Ces convictions constituent les présupposés
et l’ébauche d’une méthode. Il n’y saurait suffire.
Il nous faut désormais rentrer dans des expérimentations
d’application concrètes.C’est pourquoi, à
la suite de ses réflexions le groupe va désormais s’attacher
à : [1] Conseil supérieur des bibliothèques, rapport pour les années 1996, 1997. [2] Seguin, Louis, Une censure diffuse : les choix des bibliothèques, La Quinzaine littéraire n°767 du 1-31 août 1999 [3]
Traduit de Bushing, Mary, Davis, Burns, Powel, Nancy, Using
the Conspectus method : a collection assessment handbook, WLN,
1997. [4]
Traduit de Bryant, Bonita, The
organizational structure of collection development, Library
Resources & Technical Services,
1987, n° 31.
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03 07 2001 |