Auteur
Bertrand Calenge

 Type de document
U
ne segmentation opératoire de la collection

 Date
1999
 

Une segmentation opératoire de la collection

Le texte qui suit n’est pas un texte proposé par une équipe de projet du groupe Poldoc, ni un texte arrêté par le groupe. Il s’agit d’un document à débattre et à expérimenter, sans doute à amender, avant d’éventuellement le valider. Les observations concernant ce texte sont les bienvenues, et doivent être adressées à  poldoc@enssib.fr .

 

Un cadre d’exercice d’une politique documentaire 

La mise en œuvre de toute politique documentaire suppose une vision précise du champ dans lequel elle s’exerce. A ce titre, la collection ne peut être considérée comme un amas indistinct de documents, mais doit être décrite de façon rationnelle afin de permettre évaluations, prospective, et confrontation de plusieurs collections les unes avec les autres.

Les propositions ci-après n’ont pas l’ambition de représenter une réalité dans toute son exactitude validée scientifiquement, mais elles veulent constituer un point de départ utilisable pour l’exercice d’une politique documentaire, point de départ valide si et parce que il est accepté par la communauté bibliothécaire.

Le principe adopté dans ce texte répond à une conception de la collection vue comme un ensemble vivant et modulable dans une triple dimension : réparti dans des espaces physiques (fussent-ils informatiques), constitué de documents, et porteur de savoirs potentiels.

 

A- Les espaces d'usages           

Même si la collection constitue un ensemble complet, son traitement est différent selon les espaces dans lesquelles elle est mise à la disposition du public. Les calculs d’évaluation, les pratiques de désherbage, etc., peuvent difficilement s’appliquer à la collection toute entière. On précisera donc la partie des collections concernée par une activité quelconque selon les distinctions suivantes :

1-  La collection courante en libre accès comprend tous les documents proposés à la libre découverte des utilisateurs sans médiation des bibliothécaires. On y inclut par convention les pages web et les documents numérisés proposés par la bibliothèque sur des écrans librement accessibles. 

2-  La collection courante en réserve active comprend tous les documents exclus du libre accès pour cause d’usage résiduel ou de pertinence moindre par rapport aux besoins du public le plus large pour la bibliothèque, sans que les documents concernés soient destinés nécessairement à une conservation à long terme. Pour les bibliothèques disposant d’espaces de libre accès restreints, ou pour celles proposant l’accès contrôlé à cette réserve active (cas des « magasins ouverts » en B.U.), la réserve active est assimilée au libre accès et décomptée avec lui.

3-  Les collections spécialisées comprennent des ensembles documentaires dont le traitement, la communication et la conservation sont effectuées différemment des autres collections. Sont concernés sous cette définition aussi bien les documents en libre accès que ceux classés en magasins de conservation. On y inclut les fonds locaux dans les B.M., ou les CADIST dans les bibliothèques universitaires. 

4-  La collection de conservation rassemble les documents destinés à une conservation à long terme. En général, on n’y inclut pas les collections spécialisées, de longue conservation par définition. On peut le cas échéant distinguer en son sein la collection ancienne, constituée des documents de plus de cent ans d’âge. 

Dans toutes les opérations portant sur la collection, on veillera à préciser le champ de ces opérations : soit l’un des « espaces » définis ci-avant, soit un ensemble cohérent constitué de 2 de ces espaces ou davantage.

 

B- Les types de supports

Les différents supports présents dans une bibliothèque sont très nombreux : si leur variété est un facteur important pour la gestion technique d’une bibliothèque, elle n’est pas d’un intérêt majeur pour la première définition d’une politique documentaire, et il vaut mieux à ce niveau de définition des grands objectifs se contenter de distinguer les supports de type périodique et les supports de type monographique. 

1) Préalable

Est considéré comme document d’une collection de bibliothèque tout document dont la pertinence est validée par la bibliothèque dans le cadre de sa politique documentaire, et dont la fourniture continue aux utilisateurs est garantie aux frais de la bibliothèque.

Cela exclut entre autres : les documents appartenant à d’autres bibliothèques (même s’ils sont accessibles via le prêt entre bibliothèques), l’accès libre à Internet.

Cela inclut entre autres : les documents numérisés par la bibliothèque (y compris la copie informatique locale de documents récupérés sur un réseau informatique), les sites Internet validés par la bibliothèque (liste de signets).

Un document de bibliothèque n’est pas nécessairement conservé en permanence. Il peut disparaître des collections du fait de la bibliothèque (retrait des collections), par vol, par destruction (fermeture d’un site web extérieur référencé et dont les données n’ont pas été copiées localement). La durée de conservation d’un document est également un choix politique de la bibliothèque.

2)  Supports de type monographique et de type périodique 

Un support de type monographique est un document « achevé », ce qui inclut : les monographies imprimées, la quasi-totalité des vidéocassettes et des CD-audio, les cédéroms de forme monographique (« Musée d’Orsay » ou jeux par exemple). L’appartenance à une collection éditoriale, ou la possibilité de rééditions régulières, n’enlèvent pas leur caractère monographique à ces documents. N.B. : un numéro spécial de périodique, traité comme une monographie, est considéré comme une monographie. 

Un support de type périodique est un document qui, sous un titre unique, est en état continu de remise à jour (on going publication), soit par la parution successive de fascicules, soit par une mise à jour qui peut substituer des informations nouvelles à d’autres. Cela inclut : les périodiques imprimés et électroniques, la quasi-totalité des sites Web, les dossiers documentaires ou dossiers de presse, les cédéroms avec mise à jour (« Electre » par exemple). 

Cette distinction tient à plusieurs différences entre les deux types de supports, fondamentales pour une politique documentaire : gestion budgétaire (abonnements contre acquisition ferme), gestion matérielle (contraintes de stockage), notions d’  « âge » différentes (couverture chronologique pour les périodiques), notion spécifique de vie pour les périodiques (périodiques dits vivants ou morts), notion d’actualité différente, usages distincts (utilisation globale de la monog. vs utilisation parcellaire –articles- du périodique).

3) Titres et documents

Dans la gestion des monographies et des périodiques, la distinction entre un titre et un document est importante :

On compte pour un titre chaque titre de monographie –même acquis en de nombreux exemplaires-, et toute nouvelle édition d’un titre de monographie ; un titre de périodique inclut tous les fascicules de ce périodique. Un titre de périodique est dit vivant lorsqu’il comprend au moins une actualisation annuelle.

Le décompte des titres acquis : outre l’acception habituelle (monographies et périodiques acquis à titre onéreux ou gracieux), on y inclut :

- les sites Internet référencés (signet inclus sur une page-écran constituée par la bibliothèque), pourvu que le signet ait été vérifié et revalidé durant l’année (de même qu’on révise chaque année la liste des abonnements aux périodiques)

-les dossiers documentaires ou dossiers de presse qui ont été alimenté au cours de l'année.

On compte pour un document chaque unité matérielle monographique de la collection ; une monographie en plusieurs volumes vaut pour un document ; pour les périodiques on dira par convention qu’un titre de périodique représente un document, quel que soit le nombre de fascicules inclus sous ce titre.

Donc, si par exemple une bibliothèque acquiert 500 titres de monographies dont 100 en deux exemplaires, et 80 abonnements à des périodiques, on dira que cette bibliothèque a acquis 580 titres (500 M et 80 P) et 680 documents (600 M et 80 P).

4) Périodiques et espaces de la bibliothèque

La couverture chronologique des périodiques amène souvent à les classer en des lieux différents selon l’actualité des fascicules qui les constituent.

Par convention, on déclarera qu’un périodique vivant, dont le dernier fascicule paru est en libre accès, appartient à la collection courante en libre accès (même si nombre de ses fascicules sont classés en magasins), et qu’un périodique mort, entièrement classé en magasins de conservation, appartient à la collection de conservation.

Les signets Internet sont réputés collections courantes en libre accès.

L’usage en bibliothèque universitaire de donner accès aux périodiques dans un magasin accessible aux chercheurs désignera ces collections comme « réserve active ».

 

C- Segmentation par contenus

1) Principe

L’ensemble de la collection active (hors collections de conservation) est repéré par un ensemble de sujets, chaque sujet retenu représentant à la fois un contenu intellectuel cohérent, une réalité documentaire concrète, et une intention affirmée d’actualisation.

Ces sujets sont regroupés en thèmes intellectuellement cohérents, qui constituent des unités de gestion de la collection.

Par principe, thèmes et sujets se confondent pour les documents de fiction en bibliothèque publique (romans, films, poésie, théâtre, albums pour enfants), dans la mesure où un document de fiction n’a pas à proprement parler de sujet ; pour ces documents, on peut préférer l’appellation de « genre » à celle de thème.  Pour la musique, des sujets peuvent être déterminés distinctement des thèmes (cf la classification dite de la Discothèque des Halles).

Les collections de conservation sont segmentées selon les thèmes retenus. Une segmentation par sujets n’est pas nécessaire à ce niveau. 

2)  La liste des sujets

  • Principe de décimalisation :

Les sujets sont définis à partir d’une classification décimale. Comme déclarer un sujet revient à garantir son alimentation, il est nécessaire d’être certain que l’intensité des  acquisitions justifiera l’existence d’un sujet donné ; sinon, on s’arrêtera au sujet de rang hiérarchique supérieur. Par exemple, une bibliothèque médicale pourra juger utile le sujet Dyslexie (616.855 en CDD), alors qu’une grande bibliothèque publique estimera suffisant le sujet Névroses et troubles apparentés (616.85), et qu’une petite B.M. s’arrêtera aux Maladies du système nerveux (616.8), voire se contentera des Maladies (616). Ces choix par décimalisation sont mis en évidence pour les bibliothèques universitaires dans le système Conspectus. 

  • Nombre de sujets dans une bibliothèque donnée

a) Minima et maxima applicables à toute bibliothèque :

- Tout sujet doit être alimenté au moins une fois tous les 2 ans

- Un sujet ne peut couvrir plus de 1 000 titres (hors sujets de fiction)

b) Détermination du nombre de sujets

De façon pragmatique, on fera les propositions suivantes, pour une bibliothèque encyclopédique ou pluridisciplinaire :

- Le nombre de sujets retenus ne peut en aucun cas être supérieur à la moitié du nombre de titres acquis annuellement (garantie d’une signification du sujet vis-à-vis de la politique d’acquisition) , les documents de fiction dans les bibliothèques de lecture publique étant exclus.

- Dans le respect du nombre maximal précédent, le nombre de sujets ne saurait être inférieur à 1% du nombre des documents possédés, toujours hors documents de fiction dans les bibliothèques de lecture publique.

De la sorte, on situe les sujets comme des outils opératoires vis-à-vis à la fois du stock possédé et des capacités de renouvellement de ce stock.

c) Applications

Ces calculs de nombre de sujets s’effectuent distinctement sur les collections en libre accès (incluant le cas échéant la réserve active) et sur les collections spécialisées.

Chaque sujet est signalé dans les notices bibliographiques des documents concernés ( champ 9xx à préciser dans la notice de type UNIMARC)

La création d’un nouveau sujet est décidée lorsqu’un contenu nouveau –susceptible d’être développé dans la bibliothèque- apparaît, ou par subdivision(s) lorsque le nombre de documents possédés sur le sujet devient trop important pour une bonne lisibilité (seuil à déterminer entre 100 et 1000). Ce point ne concerne pas les documents de fiction en bibliothèque de lecture publique.

Création et suppression de sujets sont confiés à une cellule de validation ou au coordinateur de la politique documentaire : elle ne peuvent pas être le fait des acquéreurs ou catalogueurs au fil de leur activité.

La liste des sujets est publiée et vaut liste d’autorité. Elle peut être utilisée comme plan de classement pour une partie des collections (souvent les monographies imprimées en libre accès :  cf la BnF ou la BPI), mais ne se confond pas avec ce dernier car elle concerne tous les documents de la bibliothèque (hors conservation) , y compris périodiques, sites Internet, cédéroms, etc., tous documents en général non classés selon un plan de classement mais identifiables dans un catalogue.

3) La liste des thèmes

  • Principe

Un thème est un regroupement cohérent de sujets, qui constitue une unité de gestion en relation avec les contenus. Tout document d’une collection de bibliothèque relève d’un thème, soit parce qu’il relève d’un sujet inclus dans un thème, soit (pour les collections de conservation) parce qu’il est inclus dans un thème directement.

Dans les bibliothèques universitaires, un thème équivaut à une discipline. 

  • Nombre de thèmes

Le thème étant une unité de gestion, on peut proposer les maxima et minima suivants : 

- Un acquéreur ne pouvant efficacement gérer plus de 5 thèmes, le nombre des thèmes ne peut être supérieur à 5 fois le nombre d’acquéreurs.

- le nombre de thèmes minimal équivaut au moins au nombre de fonds spécialisés + 1     

  • Application

Chaque thème est sous la responsabilité d’un acquéreur ou groupe d’acquéreurs déterminé.

Les fonds spécialisés constituent autant de thèmes ou d’ensembles de thèmes distincts des collections courantes.

Les thèmes des collections courantes recouvrent indifféremment les collections en libre accès, celles de la réserve active et celles de conservation.

Les thèmes des documents de fiction en bibliothèques publiques peuvent regrouper plusieurs sujets (par exemple, thème Romans pour les sujets Science-fiction, Policiers, etc.) ou se confondre avec eux ( par exemple Thème Poésie pour le sujet Poésie). Chaque bibliothèque construit ses distinctions en fonction de la masse des documents concernés et de ses intentions de développement spécifiques.

Le thème de chaque document est déduit du sujet qui lui est affecté. Néanmoins, pour les collections de conservation (sans sujet spécifique), le thème est signalé dans un champ 9xx de la notice UNIMARC, distinct du champ utilisé pour le sujet.

Le thème est une base essentielle pour l’affectation des budgets d’acquisition, et pour les évaluations générales de la collection.

 

D- Bilan : un cadre d'évaluation et de gestion de la collection

Les présentes propositions veulent constituer une lingua franca de la description et de la gestion des collections de bibliothèque. 

1) Récapitulatif pour chaque bibliothèque

  • Une bibliothèque universitaire repérera :

- autant de thèmes que de disciplines actives dans l’université 

- des thèmes distincts pour ses collections spécialisées (CADIST par exemple)

- une liste de sujets correspondant à ses axes d’acquisition au sein de chaque discipline.

Ces repérages s’effectueront pour les supports de type monographique et pour ceux de type périodique

Ils s’appliqueront distinctement à 3 types de collections : les collections courantes (libre accès et réserve active), les collections de conservation, et les collections spécialisées.

  • Une bibliothèque de lecture publique déterminera :

- des thèmes correspondant aux grands domaines du savoir (en nombre plus ou moins grand selon la taille de la collection) ; la littérature ou les romans constitueront en général un ou plusieurs thèmes distincts, de même que les collections destinées aux enfants

- des thèmes distincts pour le fonds local et les éventuelles collections spécialisées

- une liste de sujets correspondant à ses axes d’acquisition.

Elle effectuera ces segmentations pour les supports de type périodique et pour ceux de type monographique.

Elle distinguera dans ces partitions les collections courantes en libre accès, celles en réserve active, les collections de conservation, et les collections spécialisées (dont le fonds local).

On voit donc qu’il y a parenté de traitement entre les divers types de bibliothèques, les différences intervenant dans les modalités de définition des thèmes et sujets.

2) Un outil de base à normaliser au moins partiellement

Si le choix des thèmes et des sujets retenus relève évidemment du choix politique de chaque bibliothèque, il convient de souligner :

  • la nécessité de faire connaître de façon lisible la liste de ces thèmes et sujets, pour chaque bibliothèque, à destination des tutelles, des partenaires, et de la communauté professionnelle ;
  • l’intérêt d’établir une liste des sujets possibles , liste commune à toutes les bibliothèques. Les bibliothèques universitaires et spécialisées peuvent adopter les sujets retenus dans le système Conspectus (quitte à affiner les sujets les plus précis si la collection s’y prête). Pour les bibliothèques de lecture publique, il serait possible d’adapter un système de même type (toujours avec un affinement possible), non tant à titre de comparaison pour des recours réciproques que comme outil de base

- facilitant le travail des établissements les plus petits ou en création

- autorisant des évaluations régionales et nationales des collections des bibliothèques

- fondant les formations professionnelles à la gestion des collections.

3) Un prélude à la gestion des collections

Le cadre ci-dessus n’est qu’une définition de la scène sur laquelle joue la gestion des collections. Il permet de préciser les modalités d’application des évaluations et prospectives d’une politique documentaire. Sans un cadre de ce type, on manque d’une vision ordonnée des collections, et l’on risque de commettre des erreurs d’interprétation et d’application des autres outils nécessaires (analyses d’efficacité, ratios budgétaires, évaluations d’utilisation de la collection, etc.).

                                                                                    Texte rédigé par B. Calenge  
11/04/99
 
actualisé le 16/12/99

  17/12/1999